La résistance rue du Regard

Un comité de soutien prend fait et cause pour des grévistes installés 8 rue du Regard, dans le 14e. Ils s’organisent pour empêcher l’expulsion du piquet.

Un piquet menacé

Le 2 février 2010, une nouvelle nous parvient : le tribunal de grande instance de Paris a décidé de procéder à l’expulsion d’un piquet de grève situé rue du Regard, dans les beaux quartiers (14e). Il s’agit des locaux du Fafsab, un organisme de formation professionnelle occupé par plusieurs centaines de grévistes sans-papiers employés par de petites entreprises du bâtiment. Nous ne nous y sommes encore jamais rendues.

Rue du Regard, une foule nombreuse a envahi la rue. La nouvelle s’est vite répandue et des gens de tous âges, de tous milieux ont afflué… Des badges RESF, LDH ou encore Europe-Ecologie-Les Verts sont accrochés aux vestes. Des personnalités – Laurent Cantet, Bernard Campan, Jean-Henry Roger… – se sont mêlées à la foule. Parmi les anonymes, nous faisons ce jour-là la connaissance de Véronique, une habitante du quartier qui nous raconte avoir découvert en décembre la situation de ces grévistes « un peu livrés à eux mêmes » et qu’il était urgent d’aider (entretien à venir).  Nous y croiserons aussi Laurent (entretien à venir aussi), un voisin passé par hasard devant le piquet quelques semaines plus tôt, et qui s’est lié d’amitié avec les grévistes. Nous comprenons qu’un comité de soutien s’est solidarisé dans le 14e arrondissement autour de ces travailleurs africains afin de leur porter assistance. C’est le début pour nous d’une très belle rencontre.

La menace d’expulsion galvanise les soutiens et la résistance s’organise spontanément pour empêcher toute évacuation de force par la police. Comme d’autres comités créés un peu partout dans le sillage de la grève, celui du 8 rue du Regard aide les grévistes à tenir le lieu. De 5h du matin jusqu’au soir, les militants se relaient, tenant des tableaux de présence pour s’assurer que le Fafsab n’est jamais déserté.

Au quotidien, il faut pourvoir aux repas ou trouver de quoi payer les tickets de métro permettant aux grévistes de rentrer de temps à autre chez eux pour se laver et se reposer, et de nombreuses réunions sont animées par ces préoccupations prosaïques mais o combien essentielles (vidéo à venir). A l’occasion de la sortie en salles d’un film de soutien aux grévistes (voir ci-dessous), certains membres du comité de soutien décident d’organiser une collecte devant les cinémas du quartier Odéon:

Durant la grève, les réalisateurs Laurent Cantet, Christophe Ruggia et Jean-Henry Roger  ont été très présents 8 rue du Regard. ils se sont associé à  350 autres cinéastes pour réaliser un court-métrage diffusé dans 400 salles   (« On bosse ici! On vit ici! on reste ici! »).

Chaque jour, les grévistes s’organisent en petits groupes pour aller démarcher les patrons qui les emploient dans le BTP et les convaincre de remplir des « Cerfas », des promesses d’embauche qui permettront leur régularisation. Souvent mal accueillis, les grévistes sont à la peine. Certains nous racontent même avoir été accueillis « avec le fusil ». Les grévistes s’en amusent, les soutiens qui les accompagnent beaucoup moins. Une réunion est organisée à la demande du comité avec Frédéric, un militant de la CGT, afin de coacher les « accompagnants » qui se rendent au quotidien avec les grévistes dans les agences d’intérim :

L’expulsion

Coup de fil de Véronique à minuit. Une info a fuité, le piquet de la rue du Regard va être évacué. Au petit matin, le 1er avril, les forces de gendarmerie procèdent à l’expulsion du Fafsab. Prévenus, les membres du comité arrivent un à un. La foule qui s’est rapidement rassemblée est repoussée par les gendarmes jusqu’au métro Saint-Placide. Tandis que les grévistes et leurs soutiens refusent de quitter la place, mettant dans l’embarras les forces de police, les organisations syndicales exigent d’être reçues au ministère du travail. Le rapport de force durera jusqu’aux environs de minuit. Finalement, les grévistes accepteront de quitter les lieux par le métro, évitant un affrontement avec les forces de l’ordre (vidéo de la journée à venir).

Aller plus loin

Un an après la fin de la grève, le comité de soutien, toujours actif, décide de se réunir durant l’été 2011 afin de tirer un bilan du suivi des dossiers en préfecture des grévistes de la rue du Regard. Désabusés mais toujours combatifs, s’appuyant sur leurs expériences croisées en préfecture, ils livrent un état des lieux critique des services préfectoraux et des politiques migratoires, dont il apparait que le seul but est bien de restreindre les droits des migrants en les égarant dans les dédales administratifs.